Le paradoxe du poisson rouge

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Le poisson rouge est célébré en Chine depuis la nuit des temps. Il s’agit de la carpe koï, grande et majestueuse, sacrée parce qu’elle ressemble à un petit dragon.

Le poisson rouge permet de pénétrer ce monde étrange et déroutant qu’est pour nous ce peuple.

Comment un poisson peut-il être une source d’enseignement ?

Pour répondre à cette question, il faut connaître leurs traditions car il existe un lien évident entre religion, culture, mode de pensée et comportement.

Alors que nous sommes les héritiers des traditions gréco-bibliques, les Chinois sont les héritiers de 3 traditions millénaires : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. Celles-ci ont développé une forme de pensée différente de la nôtre, non pas linéaire et rationnelle mais circulaire et en réseau.

Cette forme de pensée se fonde sur la constatation que dans la réalité, les choses sont tissées ensemble comme les trames d’un tapis. Elles ne cessent d’interagir et de rétroagir les unes avec les autres.

La carpe montre à travers ses 8 vertus la Voie de la réussite. Le mot vertu doit être compris non pas au sens moral mais au sens latin de force, de potentiel. Les vertus de la carpe sont d’égale importance et indissociables : elles sont reliées les unes aux autres comme les vagues dans l’océan.

En montrant les aspects positifs d’une autre culture, loin de moi de discréditer la nôtre, consciente de tout ce que l’humanité lui doit. Mais dans un monde devenu multipolaire, nous ne pouvons plus ignorer tout un pan de l’humanité. Les médias tendent à ne montrer que ses aspects négatifs, suscitant méfiance, sinon rejet. Or il y a en elle des idées, des façons d’être et des savoir-faire dont nous pourrions nous inspirer.

1. Ne se fixer à aucun port

« Être sans idée pour rester ouvert à tous les possibles. »

Sans port d’attache, la carpe montre qu’il ne faut s’attacher à aucun modèle ou schéma préétabli.

La seule loi qui ne change pas est celle qui énonce que tout change. 

Le corps du poisson qui ondule dans tous les sens rappelle l’importance pour la pensée de ne se raidir dans aucune position. Le pire défaut est de vouloir avoir raison car alors on s’enferme dans son raisonnement et on devient sourd et aveugle.

« L’imbécile croit toujours avoir raison, le sage écoute et accepte avec simplicité les conseils. »

La carpe avec ses grands yeux et sa grande bouche symbolise l’ouverture d’esprit : observer pour mieux absorber, car il y a tant de choses à prendre et à apprendre de l’extérieur.

Alors que pour nous l’important est de bien penser, pour les Chinois l’important est de bien observer, et ce d’autant plus que la chance ne tombe pas du ciel : elle n’est pas le fruit du hasard mais le fruit du potentiel de la situation qu’on a su détecter ici et maintenant à son profit.

A travers la parabole du poisson rouge, qui n’émet aucun son, les penseurs chinois font l’éloge du silence.

« Celui qui ne parle pas perçoit, celui qui parle ne perçoit pas. »

A travers la carpe, les penseurs chinois font également l’éloge de l’ombre, de la pénombre : vivant la nuit et évoluant dans des eaux troubles et sablonneuses, elle n’est visible que lorsqu’elle affleure à la surface. Elle rappelle que la nature n’est ni simple ni claire. L’ombre n’a pas la connotation négative qu’elle revêt dans nos traditions, au contraire elle sollicite l’imagination, permet de mieux percevoir les choses et leur mystère.

2. Ne viser aucun but

« Le chemin se trace en marchant. »

La carpe montre au Chinois que le chemin ne doit jamais être tracé d’avance : il se trace au fur et à mesure que l’on chemine. Que le chemin soit plus important que le but est difficilement concevable pour nous.

Mais l’absence de visée ne veut pas dire l’absence de vision. La visée porte sur un objectif précis à atteindre le plus vite possible grâce à une stratégie définie préalablement. La vision, elle, a un champ beaucoup plus large, s’inscrit dans la durée et s’appuie pour anticiper l’avenir sur le potentiel de la situation ici et maintenant.

La carpe symbolise en Chine la longévité : en parfaite adéquation avec son milieu naturel, elle peut vivre plusieurs décennies. Les Chinois ne se demandent pas « comment atteindre le bonheur », ils se demandent « comme vivre longtemps en bonne santé et le plus harmonieusement possible ».

Alors que nous cherchons à développer nos muscles, les Chinois cherchent à développer leur souffle.

Pour la sagesse chinoise, un des dangers de se focaliser sur un but est de ne pas prêter attention à ce qui se passe devant soi.

« Celui qui a les yeux fixés sur un but, marchera estropié dans la vie, car alors il ne voit pas la voie étalée, là sous ses pieds, évidente. »

En s’attachant à un port et en visant un but, on est comme un train qui ne peut sortir de ses rails. Or la vie ne se présente pas sur des rails, elle vient de toutes les directions à la fois et il faut comme le poisson pouvoir changer de direction instantanément.

3. Vivre dans l’instant présent

« Le passé est dépassé, le futur aléatoire, la seule réalité est ici et maintenant. »

La carpe est pleinement là, en totale symbiose avec son environnement, toujours aux aguets pour saisir une opportunité qui se présente. Elle montre que tout instant est un miracle possible.

Fort de cet enseignement millénaire, le Chinois est totalement présent à ce qui est et ce qu’il fait, comme le poisson, les sens en éveil et réactif. Jamais vous ne le verrez faire plusieurs choses à la fois.

Rien n’est écrit à l’avance ; l’avenir sera celui des germes que l’on aura choisis de cultiver. « Change et ton destin changera », recommandent les bouddhistes.

Les taoïstes considèrent l’univers comme « une danse synchronique ». Ce que nous appelons coïncidences sont des évènements apparemment anodins qui se produisent simultanément sans lien causal. En Occident, nous leur accordons globalement peu d’importance. Pour les taoïstes au contraire, si on prend la peine de les déchiffrer, ils peuvent nous guider.

Ce principe s’applique également pour la médecine. Constatant que la maladie se prépare silencieusement et longtemps à l’avance, les chinois sont attentifs à détecter les indices précurseurs.

4. Ignorer la ligne droite

« L’arbre tordu vivra sa vie, l’arbre droit finit planches. »

Le mouvement du poisson, tout en courbes et ondulations, inspire le Chinois, qui a développé au plus haut point l’art du détour et de l’esquive. Le meilleur moyen pour lui de vaincre un obstacle est de le contourner. Dans la nature, les racines, lorsqu’elles butent sur une pierre, ne la contournent-elles pas pour poursuivre leur enracinement ?

Grands observateurs de la nature, les Chinois ont traditionnellement cherché à aménager l’espace en conformité avec elle où rien n’est rectiligne : arbres, plantes, montagnes,…

Expert en compromis non en confrontation, le Chinois cherche en priorité à désamorcer les conflits. Aussi, tous les moyens sont bons pour éviter l’affrontement direct : la ruse, l’utilisation de stratagèmes, la dissimulation, l’attente de moment plus favorables, … Même la fuite est jugée préférable : ce n’est pas un déshonneur comme dans notre culture mais un moyen de garder intactes ses forces.

5. Se mouvoir avec aisance dans l’incertitude

« C’est au moment où l’on a des certitudes que l’on perd la guerre. »

Apparaissant et disparaissant en silence, la carpe est associée à la Lune qui croît et décroît, symbole du renouvellement perpétuel de la vie et de son caractère transitoire. Rien ne dure, rien ne persiste, tout se transforme et change à chaque instant.

Le corollaire de l’impermanence est le détachement : « Pourquoi s’attacher aux choses puisque tout passe, tout est transitoire ? ».

Être détaché ne veut pas dire être indifférent et insensible mais ne pas se laisser tacher par les évènements extérieurs. Le sage est la parfaite incarnation du détachement : il accueille mais ne retient pas.

La nage du poisson qui ne laisse pas de trace montre que l’on doit tracer soi-même son chemin et que celui-ci se trace en marchant.

La vérité ne se trouve pas au bout du chemin, la vérité est le chemin même et celui-ci n’est pas une ligne droite, il suit les méandres de la vie, bifurque, se réoriente sans cesse au gré des opportunités et des difficultés. C’est ce que les Chinois appellent vivre en harmonie avec le Tao.

En période de difficulté, le Chinois garde espoir d’un retournement de la situation en sa faveur, et en période de succès, il reste vigilant.

6. Vivre en réseau

« La croyance en une personne libre, autonome et séparée est une illusion à détruire. »

Poissons grégaires, les carpes vivent et se déplacent toujours en bancs. Elles inspirent les Chinois à cultiver l’art de vivre ensemble solidaires et non solitaires. Les êtres et les choses n’existent selon Bouddha qu’en dépendance les uns des autres.

Effacement, discrétion, désir de ne pas déranger les autres font parties des valeurs prônées par les religions asiatiques. Cela fait partie des règles et des usages de bienséance.

Dans les relations professionnelles comme amicales, le Chinois adopte de ce fait toujours un profil modeste. Pas de syndrome du cocorico. S’effacer, ne pas s’imposer, voilà la vertu suprême qu’incarne parfaitement la carpe, l’animal le moins ostentatoire qui soit.

7. Rester calme et serein

« Si tu es serein, tu peux surfer sur la vague. Si tu as peur, elle t’engloutira. »

La carpe évolue dans son milieu aquatique tout à son aise, sans être affligée par les aléas de la vie, confiante dans les forces qui l’enveloppent et la traversent. Incarnant la sérénité et la tranquillité d’esprit, elle invite le Chinois à rester zen en toutes circonstances.

Il s’agit d’un repos intérieur qui n’a rien à voir avec l’indifférence ou l’immobilité. Il va de pair avec la pureté et la limpidité qu’illustrent l’eau et le ciel, toujours en mouvement.

La méditation est particulièrement importante dans cette culture. Elle permet notamment de retrouver de l’énergie car c’est fatiguant à la longue de toujours penser. Elle permet aussi de voir la réalité telle qu’elle est et non plus à travers le prisme de ses désirs ou de ses craintes.

De même que notre corps a besoin de s’arrêter de bouger pour se reposer, notre mental a besoin d’arrêter sa mécanique intellectuelle pour se ressourcer.

8. Remonter à la surface

« L’homme n’est pas seulement fils de la Terre, il est aussi fils du Ciel. »

La carpe remonte lentement et avec persévérance les rivières, les torrents et les cascades jusqu’à la Source où selon la légende elle s’envolerait vers le ciel en se transformant en dragon ailé. Cette vertu est pour l’homme une invitation à ne pas couper avec ses traditions.

En effet, s’y enraciner permet de s’envoler vers de nouveaux horizons. Un bon ancrage donne l’assurance nécessaire pour s’ouvrir sans crainte à d’autres sagesses. Le rôle des parents et des enseignants est de donner aux enfants « des racines et des ailes », des racines pour développer la confiance en soi et des ailes pour découvrir d’autres mondes.

Conclusion

Pour conclure, je partage cette citation d’Antoine de Saint-Exupéry : « Si tu es différent de moi mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. »

Article inspiré du livre « Le paradoxe du poisson rouge », de Hesna Cailliau, aux éditions « J’ai lu »

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